Journal de la Bûche

L’heure est venue pour nous de mettre en application l’instruction reçue à Épiry.

La campagne de France bat toujours son plein. Schwarzenberg se dirige sur Paris. Pour l’arrêter, l’Empereur a décidé de l’affronter avant qu’il n’atteigne les murs de la capitale. Aussi, nous faisons route à marche forcée sur Arcis-sur-Aube.

C’est tard le soir que nous atteignons les faubourgs d’Arcis. Le gros de l’armée est déjà là, et une bonne partie du camp est déjà montée. Nous sommes malheureusement en effectifs réduits : avec les pertes des derniers mois, le bataillon fait pâle figure. Même le capitaine Ribière manque à l’appel (fort heureusement, pour cause d’impératifs du service : il est chargé de participer à l’organisation de la défense de Paris).

Pour pallier ce manque d’effectifs, l’État-Major nous a mis dans les rangs de nos camarades du 17e léger, au côté desquels nous avons déjà bataillé par le passé. Nous voilà d’ores et déjà rassurés. Cependant, la nuit n’en est pas pour autant reposante : nos voisins, des artilleurs au patois incompréhensible, ronflent de manière tonitruante…

Au battement de la Diane, l’appel est donc vite fait, et après une rapide collation, nous nous rendons à la revue du peloton. Le manque de matériel est remarqué, mais fort heureusement, cela ne nous empêchera pas de nous battre. La matinée est consacrée à l’instruction, sous un air lourd : mouvement et feu de peloton, tirailleurs… Après le déjeuner, une dernière instruction est prodiguée pour le tir, et nous nous consacrons à l’entretien des fusils.

Et le rassemblement ne tarde pas à être battu. Un crachin nous accompagne le long de notre marche vers le pont sur l’Aube. Nous sommes, comme à l’habitude, en tête de l’armée. Le lieutenant nous arrête à quelques mètres du pont, afin de veiller aux derniers préparatifs. Un peloton de cavalerie légère nous dépasse par la gauche, pile lorsque le fracas de la canonnade commence. Nous sommes surpris par l’ouverture du feu d’une batterie située à notre gauche : les artilleurs ronfleurs, visiblement aussi bruyants le jour que le soir… On leur pardonnera ce petit défaut : leurs tirs sont vite ajustés et nous voyons plusieurs lignes ennemies décimées par leur feu.

Et enfin, l’ordre est donné : à nous d’aller titiller les Autrichiens. Le lieutenant nous dirige adroitement vers les lignes ennemies, en marche rapide. Après avoir traversé le pont, il nous déploie en tirailleurs et nous arrête à cinquante mètres de l’ennemi. Nous ouvrons le feu tour à tour. Les Autrichiens répliquent rapidement, mais notre position en tirailleurs les empêche d’ajuster pendant un temps. Peu à peu cependant, les pertes dans nos rangs se font sentir : on ne va pas tenir longtemps à ce rythme… Et en effet, notre ligne se débande… « Repli ! »

Une certaine panique s’empare de nous, et c’est un cavalier qui nous arrête au milieu du pont : « » {me manque la citation de l’Empereur…} Je lève les yeux pour constater qu’il ne s’agit ni plus ni moins de l’empereur en personne… Revenu à nos esprits par ces simples paroles, le lieutenant a vite fait de nous remettre en ligne de l’autre côté du pont, à côté des artilleurs tapageurs cependant…

Galvanisés par la confiance de l’empereur, nous trépignons d’impatience pour retourner au casse-pipe. Et enfin l’ordre tombe : c’est reparti ! Le pont de nouveau traversé, notre officier profite d’une ruelle discrète pour nous faire contourner l’ennemi et, en effet, c’est à la fourchette et sans aucune perte que nous détruisons une batterie ennemie positionnée près de l’église. Une autre batterie allait nous mitrailler en retour, mais un peloton de cavalerie nous sauve la mise et la fait taire pour de bon, ce qui conclut notre bataille de la journée. En tout cas, c’est ce qu’on pensait…

Le front s’étant stabilisé, nous sommes renvoyés au bivouac. Et à peine avons-nous avalé les victuailles achetées à une cantinière (un genre de patates frites dans l’huile…), les nuages noirs au-dessus de nos têtes commencent à nous livrer la seconde bataille de la journée.

La pluie tombe à grosses gouttes et le vent démâte notre auvent, et nous devons, en personne, prendre la place des piquets… Nous sommes assistés dans cette tâche par un bataillon du 44e de ligne. D’après le Grand Patron, un de leurs bataillons compte pour six, apparemment… C’est donc pas moins de 9000 hommes d’après l’officier du 44e (mais 1500 d’après la gendarmerie) qui viennent à notre secours… Fort de cette assistance, nous pouvons laisser passer l’orage, et enfin nous endormir, au doux son des ronflements de nos artilleurs germains…

C’est donc d’un seul œil que nous nous réveillons le lendemain… L’état-major a fixé l’offensive pour la fin de matinée, nous nous concentrons donc sur l’entretien des armes et un complément d’instruction.

Nous n’avons pas à attendre bien longtemps pour que le rassemblement soit ordonné, après quoi nous nous dirigeons vers les faubourgs de la ville. Un duel d’artillerie commence alors, et quelques maisons ne tardent pas à prendre feu. L’officier nous dispose en tirailleurs afin de prendre la mesure de l’opposition. Nous progressons lentement à travers les ruines, où traînent encore des civils désemparés.

Apercevant au loin des cavaliers, le lieutenant nous reforme en peloton pour parer à toute éventualité. Et effectivement, ceux-ci se décident à venir nous titiller, et c’est la proximité d’un bataillon de lignards qui nous sauve, les cavaliers se faisant fusiller à brûle-pourpoint. Nous reculons pour reposer les hommes, déjà bien éprouvés par deux jours de bataille. Et c’est fort à propos que les derniers ordres de la journée tombent : l’État-Major ordonne une retraite stratégique.

Sur le papier, la victoire est la nôtre (notamment si on prend en considération le déséquilibre des forces, plus en faveur des alliés que pour nous…), mais elle n’est pas décisive, loin de là…

Nous allons encore devoir batailler dans les prochains mois… D’ici là, Vive le 16, et Vive l’Empereur !